Dans 50 ans : la ligne des Alpes
Cela faisait longtemps que je l’attendais, debout sur le quai…
Tout avait commencé avec la mise en service de l’Euro Train Express (ETE) par les réseaux ferrés européens ERN(European Rail Network).
Ce train à propulsion électrique équipé d’un turbo réacteur pouvait aller à des vitesses deux fois supérieures aux TGV et Autorails à Grande Vitesse (AGV).
Plan technique de l'ETE
Le montant du projet exorbitant n’était rentable qu’en utilisant tout le potentiel technologique du train et de son image.
Pour cela il fallait que le train freine le moins souvent possible, où comprenez, ne marque que peu d’arrêts. Les autorités et promoteurs du système d’alors décidèrent que seules les villes de plus d’un million d’habitants ne seraient desservis, le but initial étant de rallier les grandes cités européennes en un minimum de temps ; le grand public n’y vit rien à redire.
Pour l’image, l’idée fut de créer de nouveaux centres d’intérêts autour des gares, d’immenses quartiers, en construisant des centres commerciaux, des stades de foot, immeubles et crèches.Le développement de l’ETE avait en peu de temps pris des dimensions gigantesques : toutes les excuses devinrent bonnes pour profiter de la dynamique du moment, du plus grand spot publicitaire de l’histoire.D’ailleurs la plupart des entreprises avaient prise d’assaut les mégapoles françaises accueillant l’ETE.
De ces faits, le projet ne marquait pas seulement de grands changements dans le monde du transport, mais une véritable révolution démographique et industrielle.
Depuis des années, le chômage avait explosé et les perspectives d’emplois, que ce train laissait imaginer, avaient entraîné un exode massif de la population vers les plus grandes villes de la communauté européenne, une désertification des villes de moyenne importance et l'abandon de la plupart des réseaux de transports sur longue distance autres qu'ETE.
Les sociologues définirent le phénomène comme celui de la mégapolisation.
Photo de l'ETE
Moi, je n’étais pas réfractaire au progrès, à l’évolution de la société, j’avais plutôt envie que les lignes bougent sans cesse.Mais rien des innovations conduites lors des ces années ne me parurent amener quelque chose d’un tant soit peu bénéfique pour les générations futures, l’ETE en tête.
D’une manière ou d’une autre l’ETE attirait tout ce que la société moderne faisait de pire : l’aménagement inégal du territoire, l’exclusion, la crise du logement, la surconsommation, la surpopulation, l’impatience, le productivisme à outrance…
Les schémas de sociétés que les crises financières du début des années deux mille avaient démontés, refaisaient surface, et les vieux trains d’antan briseurs de frontières, porteurs de progrès sociaux et industriels pour tous, n’avaient plus droit de passage, la place était réservée aux engins à grande vitesse.
Pourtant, le monde du train avait déjà connu sa faillite et ceci à la même époque que celle des grandes crises boursières occidentales. Obsédés par la vitesse, les dirigeants des entreprises ferroviaires et les gouvernants n’avaient eu de cesse de survendre les projets incarnant la rapidité. Mais ceux-ci représentaient de vrais creux financiers, dans des sociétés privatisées ne cherchant que les bénéfices. L’argent avait été trouvé, à court terme, en supprimant massivement des postes de cheminots et en délaissant les lignes secondaires, mais au final l’ensemble du réseau s’appauvrissait d’autant plus.
Visiblement les leçons du passé n’étaient pas acquises, l’ETE étant là, il fallait choisir entre vivre avec, le combattre ou proposer un autre projet.
Comme d’autres, je choisis la troisième solution qui correspondait également à une fuite des grandes zones urbaines.
Et nous étions nombreux à débarquer dans les régions les moins peuplées de France, comme la Creuse ou les Cévennes. Pour la presse ça n’était qu’un effet de mode, qui n’était pas sans rappeler le Larzac en 1968, d’une jeunesse en manque d’ambition, n’exprimant qu’un malaise passager, ou pire des décroissants. Elle nous avait surnommée les exilés.
Mon exil était un coin de campagne, loin de tout ce tumulte, dans les Alpes. J’avais trouvé aux pieds du Trièves dans la commune de La Faurie, une gare désaffectée qui allait devenir mon futur logement.
La gare de La Faurie - Montbrand côté voies
Tout était à proximité : la rivière du Büech m’alimentait en poissons ; la forêt me fournissait en bois de chauffage et champignons ; des exilés au hameau des Granges s’occupaient de la production de fromage et de lait ; et un couple de personnes âgées tenait un point d’alimentation générale, en lieu et place de l’ancienne distillerie de lavande du village.
D’une certaine façon, c’était la réhabilitation du secteur tertiaire, mais avec les recettes de nos anciens. L’argent n’avait plus pignon sur rue, un service en valait un autre.
Bien qu’ayant rénové seul la gare de La Faurie - Montbrand, je n’étais pas un bon travailleur manuel. Je n’avais donc pas vraiment de services à rendre à la communauté, mais j’avais ce projet.
La Faurie - Montbrand, vue direction St-Julien en Beauchêne
La gare dans laquelle je vivais, n’était qu’une parmi tant d’autres bordant le chemin de fer désaffecté de Grenoble à Marseille, plus communément appelé la ligne des Alpes.
Mon projet était là, rétablir sur la section de Grenoble à Veynes un transport en commun digne de ce nom, afin de désenclaver les vallées environnantes.
Bien qu’étant abandonné depuis plusieurs dizaines d’années, les infrastructures demandaient juste un minimum de rénovation.
Croquis de la ligne des Alpes
(source: Vie du Rail n°885)
L’ensemble des communautés vivant à proximité de la ligne adhérèrent pleinement à l’idée. Tout le monde était prêt à donner la main, mais nous manquions de compétences et de matériel.
Pour le savoir-faire nous embauchâmes différents mécaniciens, ingénieurs en géni civil et autres techniciens en échange de vacances gratuites dans la région, comme dans l’hôtel de la gare de St-Maurice en Trièves, que nous avions rénovés où le camping dans la forêt de Durbon à St-Julien en Beauchêne, autrefois résidence des colonies de vacances SNCF.
La gare de Saint-Maurice en Trièves et l'hôtel. Vue direction Clelles-Mens
Saint-Julien en Beauchêne, direction La Faurie. A droite, l'abri voyageurs et derrière l'ancien camping SNCF.
Le matériel quant à lui était juste là, entreposé sous nos yeux : à Saint-Maurice nous avions trouvé des rails et traverses dans l’ancien hall marchandises ; le ballast à côté de la gare de Monnestier de Clermont ; au col de la croix Haute-Lalley une locomotive Y800 ; et quelques wagons à Lus la Croix Haute.
La gare de Lus et le hall marchandises, vue vers St-Julien
Une Y800 passant la gare de Lalley direction Lus
Notre initiative fut vite relayé par le bouche à oreille et un groupe se nommant le Front de Libération des Cheminots, s’opposant à l’aspect lucratif qu’avait pris leur métier et défendant le service public, nous rejoignit afin de nous aider à mettre en place la sécurité ferroviaire à l'aide des documents d'époque trouvés sur place.
Exemplaires d'un carnet de dépêches de sécurité, trouvé en gare de La Faurie
Leur présence motivée par des raisons militantes, l’était également par l’envie de restaurer un patrimoine important du monde ferroviaire. Faut dire que la ligne des Alpes n’avait rien de commune aux autres. Construite à l’origine pour relier Grenoble aux Alpes du Sud, les promoteurs de l’époque lui avaient choisi un tracé plutôt original. Alors que deux voies de pénétration naturelles du Dauphiné s’offraient à eux : une par la vallée du Drac et l’autre par sa parallèle, celle de la Gresse ; aucune ne fut retenue, puisque celle choisie prit l’arrête séparant les deux vallées, direction le Col du Fau. Evidemment cela se traduisit par un chemin en rampe permanente, jalonné de tunnels, viaducs et courbes.
Croquis des rampes et pentes de la ligne des Alpes (Vie du Rail n°885)
Mais bien que tortueuse, cette solution permettait de désenclaver plusieurs régions : le Trièves, qui sans cela n’aurait été connue seulement pour sa culture du blé et le roman de Giono, « un roi sans divertissement » ; celle du Bochêne, riche des ses champs de lavandes, ainsi que de ses amandes et miels, matières premières du nougat fabriqué non loin d’ici ; la vallée du Buech grande productrice de prunes, pommes et poires ; et la cité de Veynes abritant une usine de semelles, de résistances électriques et une fabrique de caisses à fruits.
Le tout en passant par le col de la Croix Haute Lalley, culminant à 1167 mètres, et la magnifique commune de Clelles dominée par le Mont Aiguille, un symbole.
Gare de La Croix Haute Lalley, vue direction St-Maurice
Le projet n’était donc plus seulement porteur de la volonté de rétablir une prestation publique et utile, mais aussi d’embellir une région et ses infrastructures.
Et à dire vrai, nous ne voulions certainement pas concurrencer l’ETE, mais proposer modestement son alternative, un transport collectif ou seule la qualité de service compte.
Pour commencer, le service des trains ne serait assuré que par un seul, faute de moyens. Mais en partant de rien, on ne pouvait que prospérer.
La Gare de Clelles-Mens, vue vers St-Michel des Portes
Puis ce jour est arrivé, le train était parti ce matin là de Monnestier de Clermont direction La Faurie - Montbrand. Plus d’une heure de trajet pour une ligne qui ne demandait qu’à s’étendre et des trains à se multiplier.
Moi, cela faisait longtemps que je l’attendais, debout sur le quai, le train qui nous transporterait plus, mais nous ferait espérer.
La gare de Monnestier de Clermont