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Gare aux Gares ! Photos Trains Histoires du chemin de fer

26 mars 2020

Nozières-Brignon, dernier arrêt (II)

Mas des Gardies Poste5Le poste de bifurcation du Mas des Gardies

II - La crise du pont de Ners

Le Gardon avait fait des ravages dans le département, 22 morts.

Le bout de ligne de Lézan au Mas des Gardies était pour sa part fortement endommagé et tous les anciens cheminots du secteur nous avaient prévénus, cela ne présageait rien de bon. Les innodations et ses dégâts collatéraux par le passé avaient été de nombreuses fois le prétexte pour des fermetures de ligne, la dernière en date était alors celle de St-Césaire à Sommières après les innodations d’Octobre 1988. Ils ne s’étaient pas trompés.

Autre dommage sur la ligne, entre le Mas de Gardies et Nozières, le Pont de Ners qui en avait lui aussi pris pour son grade, une nouvelle fois.

pontLe Pont de Ners lors des innondations de 2002 (Source: Gard Magazine Octobre 2002)

En 1958, la crue exceptionnelle du Gardon avait emporté une pile du pont entraînant la route et la voie ferrée à l’eau. Cette fois-ci c’était « seulement » une partie du remblais qui vait été expedié quelques centaines de mêtres plus loin. Laissant les rails suspendus dans le vide.
Le trafic entre Nîmes et Alès fut complétement interrompu pendant plusieurs mois. Mais afin d’assurer les travaux et quelques navettes Ners/Nîmes, un poste de block provisoire fut rétabli à l’ancienne gare de Ners. Poste qui devint pour cette période mon nouveau lieu de travail car la direction avait figé celui de Nozières pour déplacer les agents ici.

nozieres poste (2)L'ancien poste de block de Nozières

 

L’exception du moment et le cadre des lieux me plaisaient plutôt. Particulièrement le bâtiment voyageurs, magnifique, une copie d’une gare du Sussex, au sud de Londres, voulue par Paulin Talabot. Exception sur la ligne où les autres gares avaient une architecture semblable aux gares des chemins de fer du nord de l'Angletterre.

Et puis c’était assez émouvant de revoir de l’activité sur ces quais qui depuis 1973 n’avaient vu aucun de trains de voyageurs s’y arrêter.

 

Ners0La gare de Ners

 

En attendant le chemin de fer, tout comme tout le département , pansait ses plaies.
Pour beaucoup de communes des environs la situation était dramatique, comme à Nozières et Brignon, notamment dans la plaine de la Gardonnenque bordant le coté Est de la gare.

Malheureusement le drame et la gare de Nozières avaient déjà été associés 45 ans plus tôt…

82251538_oPassage du Cévenol à Nozières (source: Borribal)

 

Prochain épisode: 1957, année dramatique

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11 novembre 2019

Nozières-Brignon, dernier arrêt (I)

 

 

77584554_oLa gare de Nozières

 

I - Lundi 03 Octobre 2011, jour de fermeture

 

30 29, 30 29, 30 29, 30 29, 29 30, 29 30, 20 39, 32 90, rien à y  faire.

 

Depuis  quinze minutes j’essayais de faire le code d’entrée de la gare. Quinze putains de minutes pour réaliser qu’ils avaient changé le code. Quinze comme le nombre d’années depuis lesquelles je bossais dans cette gare, Nozières. Quinze ans à faire tous les jours ce même code, cette même routine, ce même café. A voir les mêmes voyageurs.

 

Il y a quinze ans j’en avais vingt-cinq, les dents blanches, le visage bien rasé et le ventre plat.  Je crois avoir depuis perdu tout cela.  Mais j’étais fier comme au premier jour.

 

Fier d’avoir du boulot, d’être chef de gare et d’hériter de l’histoire de cette ligne de ce lieu.

 

Et quoi, il fallait aussi que je perde ma fierté ? Parce que quelques gugusses avaient décidés que faire péter mon poste et automatiser la signalisation permettraient soi-disant de faire des économies, il fallait tout fermer, tout oublier et changer le code ? C’était l’urgence de tirait un trait sur tout cela ? Pas pour moi, et j’étais bien décidé à ce que l’histoire de cette gare ne tombe pas dans l’oubli.

 

 Je n’avais ni le besoin de prendre le service, ni de venir ici. Mais je voulais, une dernière fois renseigner les usagers réguliers, leur expliquer pourquoi les trains ne circuleraient plus sur la ligne pendant plusieurs mois et pourquoi la salle d’attente serait à tout jamais fermée.  Après quinze ans de service je voulais aussi leur parler des anecdotes de la gare. Mais c’était peine perdue, alors j’allais leur écrire.

 

Ecrire sur la gare de Nozières-Brignon située sur l’une des plus vieilles lignes de chemin de fer de  France, celle de Beaucaire à La Grand Combe.

 

Peu  de personnes s’en souviennent  mais Nozières  fut aussi le point de départ pour l’éphémère ligne qui rejoignit Uzès en  passant  par Moussac, St-Chaptes, Bourdic et Arpaillargues.

DSCF3550La gare de Moussac


Pour ma part il me fallut à peine quelques jours après ma première prise de service  pour trouver les derniers bouts de rails cachés sous les ronces derrière le collège de La Réglisserie.

 

Autre bifurcation sur la ligne, celle du Mas des  Gardies qui rejoignait Les-Mazes/Le Cres à côté de Montpellier et  St-Jean-du-Gard via Lézan.

 

Vers la fin de l’exploitation de cette ligne, le poste d’aiguillage du Mas de Gardies a été mis hors service et remplacé par un jeu de clés dont nous avions ici depuis plusieurs années la responsabilité. D’ailleurs la fermeture de la ligne pour travaux ces prochains mois n’a pour seul but l’automatisation mais aussi la dépose de l’aiguille de cette bifurcation ainsi que la destruction du vieux poste.

 

Fin d’une époque dont nous avions vu les prémices il y a bien longtemps et notamment lors de ce triste mois de septembre 2002 et ses inondations dévastatrices.

Mas des Gardies Poste2

L'ancien poste de bifurcation du Mas des Gardies

Mas des Gardies Poste4

Prochain épisode : Gare au Gardon

 

11 octobre 2019

Suite Roumaine, Chapitre III

Suite roumaine.

 

Au cours des prochains mois, la Roumanie est à l’honneur sur Gare aux gares. Notre contributeur fait renaître un pays qu’il a visité aux cours de deux voyages. Une série d’articles sera publiée avec des photos (prises par deux de ses compagnons de route) et des dessins qu’il a réalisés. 

roumanie 184

Quelque part au-delà de Basarab.

 

 

III. Bucarest (suite)

 

                Les files de voitures allument le pont qui roule comme un néon dans la nuit. Le quartier Basarab fraîchit quand il s’enduit d’ombre. Un chien aboie, deux hommes passent. Nous marchons.

                Pour suivre les bonnes manières du touriste, il faudrait que nous visions le centre historique. J’en parlerai. Mais pas dans l’immédiat. La patience du lecteur doit s’orner de rues ternes. Nous partons exactement à l’opposée du fameux haut palais à devanture pour dépliants. Les bars branchés sont dans notre dos.

                Là-bas, l’Europe s’oublie sûrement au creux des façades opulentes. Ici rien ne brille et nous ne voyons que dalle. Un cri perce la noirceur avec sa voix de ferraille. C’est le pleur d’un essieu écrasé sur son rail. Rail crissant. Rail dont le métal gare une rame au ralenti.

                Un chien passe. La brume qui sort de ma bouche pâlit sous un projecteur. Je vois la nuit accrochée aux lampions et, derrière les murs, un vaste champ d’acier qui court dans des filets de caténaires.

                L’endroit sent le chimique dans un ronron nébuleux, c’est un faisceau de remisage. Quelques lumières de signaux s’élèvent comme les reflets d’un phare. Au fond de ce marais de fer, un train découpe Bucarest en roulant vers ses flancs. 

Train de nuit à Bucarest Blog

Train de nuit à Bucarest, crayon sur papier noir.

 

                Quand soudain c’est net il ne faut plus penser en termes de vaste étendue un halo éclaircit nos faces, on sourit, on y est, le guichet, avec des silhouettes, des bonnets, des tronches qui grouillent en braillant et des senteurs de pelouse dans ce ciel qui sans verdir se colore d’un parfum, de gradins à l’envers en blanche couronne et puis d’autres projos, plus blancs, bruyants… c’est le stade.

                Dans la file d’attente vont des hommes hachés, vieux, jeunes, en groupes, têtes vissées sous leur chapka que nimbent des buées. La guichetière s’exécute et ses deux mains rythment un regard vague.

                En attendant mon tour, je peux ici immiscer une rencontre. Je me souviens. C’était dans l’après-midi. Nous sommes venus repérer le stade sous un ciel blanc. Le gardien nous a fait rentrer sous la pression d’un Fujifilm, gentil, avenant, avec un sourire jusqu’aux oreilles. On a presque foulé la pelouse entre deux tas de neige qui reflétaient le ciel, blancs comme des icebergs sur le fleuve des athlètes, la piste, cet ovale d’orange bruni qui entoure les cages.

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L'après-midi, avat le match.

 

                Après ces quelques clichés (encore !), trois ultras du Rapid Bucarest déboulent avec une petite brune. Le presque chef, son bob looké coincé jusqu’aux sourcils, nous lorgne d’un œil peu vif. Il parle en roumain à sa copine qui nous traduit. On a droit aux révérences du petit kapo qui nous approche comme un mâle de tribu irait sentir le cul des sauvages. Les sauvages, ici, c’est nous. Mon copain, toujours l’appareil autour du coup, noue le contact.

                Monica parle anglais, notre petit photographe de fortune aussi. Et très bien. Il envoie les mots dans son parlé aguerri comme un presque rosbif pris au jeu du dialogue. Monica, avec ses beaux yeux noirs et sa désinvolture étudiante, donne le change tout en palabres chaloupées. Bref, l’anglais, moi, j’entrave une phrase sur cinq. Ils se parlent. Je comprends que l’ultra ne vient pas nous causer du pays, il nous demande si on a des équipes. « Marseille », dit notre interprète qui parle pour lui.

-          « Ah ! Ah ! fait le kapo bêta sous son bob. 

-          But we are happy, dit mon copain, to know the club of the romanian railworkers, here, it’s working class… it’s very good for because we are french rail workers (il se démerde bien, ce con).

Traduction de Monica.

-          Da, da, dit l’ahuri. »

On comprend que ça ne l’emballe pas. Un « da, da », c’est bien peu. Son copain, à-côté, c’est un gros porc, sûrement le tambourinaïre de l’équipe. Le troisième, un baraqué chaussé de Samba et le jean bien mis, semble se rétrécir les muscles en regardant le ciel, plus poète que hooligan. Pour un fleuron du Mouvement Ultra de l’est, on pouvait rêver mieux. Je commence à penser qu’on est avec les pieds nickelés de la tribune.

La fine équipe Blog

La fine équipe, mauvais stylo à bille sur papier blanc.

 

Maintenant, le chef essaie de s’affirmer. Il dit à Monica de traduire ce qu’il vient de nous dire. Il a l’air d’y tenir, fier comme Artaban de son discours, torse fin presque bombé dans sa disgrâce.

« He say : We are not gypsies », nous fait-elle gênée.

J’imagine en effet les gitans plus malins que ces trois-là. Plus beaux aussi. Il nous prend en plus pour des cons, comme si on était de ces ignares qui, sans arriver à la cheville de tous les grands peuples gitans, se peignent la Roumanie en contrée de caraques.

Ça c’est les franchouillards empuantis au sarkozysme et notre kapouillon du cru pourrait sûrement très bien s’entendre avec eux, une fois la barrière de la langue passée.

Il se fourre un peu plus le crâne sous son tissu. Dans l’ombre des bords du bob, on voit la couleur des gradins vides imprimée sur le fond de son œil. Ridicule.

Et maintenant, il demande à Monica de nous traduire son racket. Selon lui, la visite du stade et les photos nous coûteront 10 Lei à chacun. Il voudrait en plus un bifton dans sa menotte ballante. Cézigue de rien ne doute. Il est mignon.

« Oui, oui… » répondons-nous avant de lui tourner le dos. On le laisse en plan comme un pauvre type qui a raté son coup, un après-midi où il jouait les durs avec ses potes.

Le soir, il n’apparaîtra pas, la nuit le gobe comme cette foule qui chemine aux abords du stade. Des écharpes se vendent à la criée. Une lueur blanche monte vers un éblouissant ciel et nous gagnons nos places. Lumière de stade : il fait nuit, mais une nuit spéciale. En bas, les joueurs s’échauffent. La tribune gargouille et des pipasols s’éclatent sous quelques dents crispées puis perdent leur coque. La travée, c’est un champ de tournesols morts et foutus en grisaille sur le blanc béton, un Van Gogh consumé par l’écrasante netteté des lueurs olympiques.

D’ici, on se figure mieux la forme de l’antre. C’est un de ces vieux stades que l’on voit parfois à 19h les jeudis soirs, en coupe d’Europe, où les ultras de l’ouest partent se glacer les miches et ramasser des gnons pendant que leur équipe en chie, les doigts gantés, l’amorti peu sûr et la patte flageolante ; un « coupe gorge » à piste d’athlétisme que borde de hauts filets troués avec, sur la ligne de départ du cent mètres, cette ambulance qui suggère que tout peut basculer.

Une tribune vide ouvre l’ovale vers la ville, loin, là-bas, dans la brume. Circulaires, les trois autres sont pleines d’une foule bouillante. Voici, avec ces sourires que ponctuent des yeux enfoncés, le beau peuple roumain qui s’ambiance au cœur du froid.

Stade Rapid Bucarest Blog

Au stade, crayons sur papier noir.

 

Un voisin titille mon comparse avec son écharpe et lui montre même comment croquer une graine de tournesol sans se foutre du bois dans la gencive. Il sait y faire, lentement, avec sa canine brillant comme de l’ivoire.

Tout à coup il le prend à la taille et nous force tous au câlin, trop content de voir que des étrangers vont découvrir son précieux totem. Sublime fervent qui se régale, il sourit aux hurlements rauques du stade. Un écho m’agrippe la tripaille. Cri de foule.

Son totem est une file de onze hommes en grenat qui marchent vers le rond central.

Voici venue, pour ces milliers d’hommes, l’heure de chanter. 

Le Rapid crie son hymne sous le froid qui fuit.

 

Suntem peste tot acasă                   Nous nous sentons partout chez nous
Porțile ni se deschid                         Aucune porte pour nous ne se ferme
Nu-i echipă mai frumoasă              Car il n’y a ni équipe ni petite amie
Și iubită ca Rapid                             Meilleure que le Rapid


Rapid-Rapid                                      Rapid, Rapid
Luptă dacă ne iubești                     Combattez si vous nous aimez
Rapid-Rapid                                     Rapid, Rapid
Haide-hai Rapid                              Allez Rapid

 

                Au corps-à-corps avec leur troupe, les ultras sont beaux.

                La partie démarre.

                Deux jambes chantées s’écartent sur un silence. Le buste du match est à cheval avec, soudain, le bruit d’un train pour selle. Une gare à butoirs propulse des convois aux abords du stade. Sous les tribunes, les voies sont un éventail qui dispatche ses vibrations vers le pays. Là est un de ces larges faisceaux bordant les gares terminus. Ce terrain donne l’impression de hurler dans le fond d’un triage plus que sur le bord d’une ville.

                Le Rapid, c’est donc le club de la capitale historiquement lié aux chemins de fer. En 1923, date de sa création, il est d’abord nommé Casa Ferrovialuri Rapid Bucuresti pour devenir une première fois le FC Rapid en 36. Il est renommé Caile Ferrate Romane Bucuresti en 45 puis Locomotiva en 49 avant d’être ré-aiguillé vers son nom de Rapid en 58. Désormais c’est à nouveau le FC Rapid, avec son aigle sur le blason et ses barrettes qui rappellent le logo des CFR, la Compania Nationala de Cai Ferate (Chemins de fer roumains). Le fanion de l’équipe a des airs de grosse machine qui fume son diésel sur un tréfonds valaque… et passe un nuage devant les projecteurs du stade. Crisse un essieu.

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               Logo CFR à l'etrée du stade, plus tôt dans l'après-midi.

 

               On revient sur la pelouse. La balle vole d’un bout à l’autre. Ce terrain est comme un flipper de bistrot borgne, ça file. Pourtant, d’ici, le gazon paraît hasardeux. Quelques mottes font vaciller la surface d’un presque-marécage enneigé il y a peu. Ce n’est pas un doux herbage de l’Albion que bichonnent des gentlemen fétichistes mais on s’y cogne fort dans les chevilles et l’arbitre, à la façon d’un sujet d’Elisabeth, laisse jouer. Le public râle quand l’équipe adverse en profite mais le résultat est beau : pas de temps mort, un cent-mètres permanent d’un but à l’autre et des frappes viriles qu’obstrue le hourra des gradins.

                Un tacle monstrueux fend la nuit comme une balle traçante. Le défenseur se relève, le milieu de terrain terrassé reste à terre pendant que l’action continue. Le ballon a changé de camp et fait demi-tour sur un terrain glissant. Aucun coup de sifflet n’est venu parasiter l’acte, certes violent, mais sublime.

                J’aime, moi, le football qui s’éructe à grands coups de douleurs avec des manouls et des brutes. Un beau tacle, s’il entre dans le rythme, vaut bien dix buts. Et si, surplombant cela, les ultras sont libres, c’est l’idéal. On m’a très souvent dit que je n’y comprenais rien. C’est d’ailleurs sûrement vrai. Moi, je ne suis pas un spécialiste qui s’astique sur la palette Canal +, juste un esthète. J’ai bien raison. Les foules devraient me suivre. Ici ça peste parce que l’homme au sol est vêtu de grenat. 

                Les types en orange (c’est l’équipe du CS Pandurii Târgu Jiu, les leaders du championnat) s’approchent des cages par l’aile droite. Après un centre en retrait, l’attaquant frappe… ça passe au-dessus, très haut, loin dans le ciel froid. La moquerie en tribune est cataclysmique.

                Aux impressions de l’après-midi, j’ajoute désormais que les ultras du Rapid ont un sacré cachet lorsque la nuit tombe. A coups de chants cadencés par un bourdon de tambour qui met la berlue en route, ils gonflent un vacarme qui n’attend que son point d’orgue. Ça ne saurait tarder.

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Les superbes ultras du Rapid chantant dans leur kop.

 

                La victoire (2-0) viendra par Daniel Pancu. « Ô Pancu ! » chanterait un poète antique. Je me berce simplement au cri mélodieux qu’entonnent ces milliers d’hommes.

                « Eh Pancu ! Pancu ! Pancu ! Eh Pancu la la, lalala ! »

                Et le beau Daniel, vieux joueur brun au torse qui se durcit, entame son mouvement guerrier. C’est un brutal coup de poing vers l’avant que tout un stade attendait. Ses biceps enflent pour briller. Comme un soldat triomphant qui a son talon sur la nuque d’une armée, Pancu remue son corps face à un mur de foule. Et ce mur lance un vacarme en écho à son geste qui vient, lui, d’un but. Au fond de la scène, les filets tremblent encore.

                L’attaquant offre la victoire à son équipe. Au coup de sifflet final, tout le monde exulte et l’hymne du Rapid retentit à nouveau. Des sauts périlleux s’encastrent par centaines et le supporter d’à-côté nous câline en hurlant. On a un bref aperçu de ce que devait être l’ambiance quand le club obtenait des titres [trois championnats -67, 99, 03-, treize coupes de Roumanie, deux coupes des Balkans -64, 66-, Ndlr]. C’est beau.

                Lorsqu’un stade se vide, les projecteurs demeurent brûlants. Bientôt, l’antre sera un blanc nuage dans le ciel noir… puis il s’envolera comme un songe. Si mon cœur bat toujours très fort, c’est à cause du tambour et des chants. Il faut toujours un certain temps pour atterrir…

                Puis le béton redevient sombre et des essieux crient jusqu’à s’évanouir. C’est un rythme qui les coupe. Le son d’une voiture. Le pont de Basarab bouffe le ciel comme la gueule ouverte d’un cachalot géant. Dessous : le boxon d’une Dacia Logan tuning qui roule vers le centre. Sur ces roues aux jantes chromées, l’auto rouge luit des lueurs de la ville et crache un manele.

               Je me demande ce qui peut bien m’attirer dans ce boum-boum binaire et brusque, avec la basse que couvre une voix surfaite… moi qui m’enflamme pendant les nuits au son génial des lautaries, je me prends à goutter ce crachat furtif à clips gavés de gonzesses auxquelles on fait pan-pan cucul, de chanteurs ridicules, faux truands mis en scène pour le business d’une pompe à fric.

                Mais je savoure, ce soir, une sorte de grain brillant comme le strass des chaines en or, là-haut, dans le ciel. Une synthétique altération m’ouvre le cœur, à la disco-turc remasterisé, note qui semble longer la mer Noire en zigzaguant. Je bois cet autoradio vulgaire qui m’évoque, l’espace de quelques notes, les figures musicales de l’est…

                Un frêle son frétille dans la nuit et la voiture disparait. Elle nous laisse là, de retour du stade, silencieux face à cette ville de chandelles. Plus loin court le ronron de tout un pays sonore dont les paysages sont à respirer. Une mer, des fleuves, des cités, les montagnes…

à suivre...

20 juin 2019

Suite Roumaine, Chapitre II

 

Suite roumaine.

 

Au cours des prochains mois, la Roumanie est à l’honneur sur Gare aux gares. Notre contributeur fait renaître un pays qu’il a visité aux cours de deux voyages. Une série d’articles sera publiée avec des photos (prises par deux de ses compagnons de route) et des dessins qu’il a réalisés.  

 

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Vue d'un boulevard en sortant de la gare.

 

II. Bucarest.

 

Dans les plis sinueux des vieilles capitales,

Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements,

Je guette, obéissant à mes humeurs fatales

Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

                                           Charles Baudelaire.

 

Le pont routier de Basarab tend ses haubans comme un navire. Sa coque bleue titille les toits et tangue sur la ville. Sous ses jambes titube un mendiant à moignon. Un train passe. Il se cabre et fait sonner une ferraille, puis se voûte encore sur sa béquille. L’être va et vient entre les files de bagnoles. Une flasque flaque étale sa boue jusqu’à son pied unique. Cette flaque est un miroir, le mât du pont y chavire en reflet assombri. Le soir s’époumone contre un ciel gris. Et le ciel gris meurt dans la mélasse vaseuse du caniveau.

 

On vient de descendre le boulevard Golescu, entre bâtiments et caténaires. Une putain naine est venue, édentée, causant par une bouche élastique, nous proposer d’entrer dans son bordel clandestin. Un vieux bâtiment désaffecté, tagué, délabré entre les ruines, dont la porte en bois bousillé regorgeait de femmes. C’était un tableau gris à cheveux noirs, à cheveux blonds, à carcasses jeunement aguichantes qui vampaient leur bas-fond pour sucer en squat. Le pallier s’ornait de grues d’un autre âge, fumant, criant, bougeant leurs jambes en riant, catins à carries qui reluquaient la passe en devenir, finissantes aux confins de l’Europe, contre un boulevard de gare capitale. « Tu baises là, tu peux baiser un ours », dit l’autre.

 

 

 

 

Bordel sauvage à Bucarest 2 -version blog

Bordel sauvage à Bucarest, stylo à bille sur papier.

 

 

La gare de Basarab est plus loin, au bout, de l’autre côté du carrefour. C’est une sorte de petite annexe de la grande Gara de Nord. J’ai deux compagnons, cette année-là. Ils aiment la photographie. Ils mitraillent d’abord l’entrée ondulée puis les quais, le poste d'aiguillage avec écrit București Nord, les heurtoirs… ils veulent stocker les souvenirs. Un impérissable cadavre d’instant luit de son flash quand, soudain, vient un flic.

 

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Bucarest, Gare de Basarab et ses atours (clichés criminels).

 

 

C’est un type au teint gris sous sa chapka. Ses yeux noirs de latin s’accouplent à un gros nez de quinqua énervé. Il nous parle roumain. On croit comprendre que c’est interdit, les photos. Il gesticule dans la menace. Il parle de nous amener, qu’on a mal fait, que notre comportement est mauvais, qu’il va peut-être falloir rendre des comptes… il va pas nous laisser partir, le mec. On n’entrave que dalle.

 

Que dire à ce rustre ? C’est un vieux chien qui montre les dents, un cogne qui travaille avec son zèle à lui. Il n’est pas particulièrement roumain, il est international. Un condé, c’est toujours pareil, ça tranche, ça veut rien savoir, ça s’impose pour faire sa tâche, se gargariser puis rentrer chez lui bien satisfait. C’est seulement l’ambiance de son pays qui lui dicte les limites. Lui, avec le passif poulaga des contrées ici creusées, on pourrait penser qu’il essaie de nous trifouiller le portefeuille, qu’il nous détrousse peu à peu, gentiment, à la menace. Je crois pas qu’on le dérangeait, après tout… mais il nous assène ses manies en bombant le torse. Il serre les dents. Il nous tient la jambe sur fond de train qui démarre et de voyageurs pressés.

 

 

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Policier roumain, stylo à bille sur papier.

 

On remue la tête, on lui fait comprendre qu’on est très embêté pour lui, qu’on aurait bien voulu l’aider. Mais on est français. On ne comprend pas. Ah ! Français ! « Franceză, franceză, no foto ! » Il se barre. Il fait demi-tour en même temps qu’on file visiter les quais.

 

J’aurais bien voulu être roumain pour en savoir plus. Mais ça n’ira pas au-delà. On m’évite soigneusement. J’ai un passeport, avec ma gueule de blanc-bec occidental, plus menaçant que celui de Maïakovski. Le flic roumain se voit en sous-français. Il a eu peur de notre nationalité.

 

Mais qu’il fasse le travail jugé juste par lui-même ! Qu’il nous colle au mur ! Merde ! J’avais des images d’Epinal de l’agent de l’Est, moi ! Un bâton dans la main, le cœur droit battant pour l’ordre, l’ampleur de la Securitate carré dans l’âme. Non, il se dégonfle, il s’en va, petit flicaillon couard au comble de son inconséquence.

 

Après-tout, sur l’acte, il n’avait pas tort, en plus. On n’avait pas besoin de photographier l’endroit. C’est paresseux, un photographe, toujours. Ça se fout le cul sur un siège. Là, sur un quai, on quête l’image. On se laisse porter en appuyant sur le bouton. L’heure est figée, le mouvement se meurt. Tout est tué. Vous voyez ce train, comme il ne roule plus, comme il s’est évadé de sa propre voie pour obiter plus bas, vers un gouffre de paresse ? Mais si, regardez !

 

 

illustration de train photographié

 
 

Et le public des photos n’est pas mieux ! Il s’assoit comme au cinéma. Il s’enivre d’image. « Ah ! Oui ! Oui ! Donnez-moi de l’image ! Foutez-moi la ici, là, vous voyez, l’image ! » Le branleur qui fait la photo poste son trophée pour le branleur qui la mate. On regarde l’image, on oublie le texte, on fait le voyeur (le voyeur c'est l'anti-voyant !), on ouvre un blog comme le rideau d’une douche. Derrière se cache une merveille, mais on sait qu’on ne pourra jamais la pénétrer.

 

Ceux qui lisent ces phrases incendiaires, je leur tire bas, très bas mon chapeau. Dans le torrent des rideaux à ouvrir, ils s’arrêtent sur un tendre fauteuil roumain, ils enfoncent leurs fesses jusque dans son fond et prennent le temps de se mettre à l’aise. C’est à cette sorte d’êtres que peut vraiment s’ouvrir la merveille. Ça se travaille, ça s’étudie, ça se ressent, une merveille !

 

Ainsi, dans un bruit de trains qui déraillent, meurent et s’évadent comme des cuisses intouchables : le flic se barre. 

 

Il aurait pu mettre les menottes à mes deux photographes attitrés, qu’on rigole un peu. Ils auraient senti, avec la trique d’un condé carrée au fion, dans un commissariat de venelle roumaine, qu’il n’est pas anodin de tout anéantir sur son passage, d’être impitoyablement touristique, insensiblement implacable.

 

La Roumanie, avec une telle loi, aurait été mon Eden, ses flics mes idoles, ses juges mes modèles. Je parle d’un vague idéal. On ne peut pas compter sur des juges ou des flics pour espérer une justice. Celui-ci n’avait aucune envergure. Et son pays avait rejoint l’Union Européenne.

 

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Vue d’ensemble sur le Pont de Basarab et son quartier.

 

Nous sortons de la gare de Basarab. Basarab c’est un quartier, un tumulte incessant qui vrombit de train en train sur les bagnoles entassées. Son nom fulmine à la façon des obscures légendes, avec des lettres inconnues placées pour pencher vers l’Est. 

 

Les descendants de Basarab Ier furent dynastie. Les voïvodes valaques font irruption avec un exotisme tout ténébreux. Leur règne est une floue frontière qui se caresse avec l’Orient à coups de beignes. Je vois des couronnes d’or posées sur mes souvenirs de Bucarest, des icônes, des batailles, des branlées aux tatars sur les bouches du Danube et des princes fessés par les ottomans qui dansent dans les reflets d’une autre flaque.

 

La flaque arrête un temps l’heure qui tourne. L’histoire est en pause. Elle reflète un hôtel de passe.

 

Une fois de plus, devant une voiture de souteneurs en poste, un flash scintille sur le soir. Mon compagnon joue avec le révolver après avoir tâté la trique...

 

Cette fois-ci c'est sûr ! Il va morfler !

 

Mais berline se tait. Même les voyous, au fond de ce Bloc de l’Est éclaté, fantasmé jusque sous ses ruines, ne font rien pour punir le sacrilège. Ils se laissent photographier dans leur bagnole comme des grands singes de zoo. C’est à peine s’ils osent nous regarder.

 

On aurait pourtant pu facilement nous corriger. Ils doivent avoir des calibres dans la boîte à gants, de quoi gagner le respect des intrus qui roulent leurs michetonneuses à grands renforts d’ivrognerie ! C’est un quartier sombre ! Un de ces tas de bâtiments qui fout au pif un relent de crime... et le premier souteneur venu n’a même pas un petit cran d’arrêt pour tâter la gorge d’un photographe amateur !

 

Grosse déception. Mais qui donc, si ces rustres rêvés n’en font rien, mettra un terme à la soif d’image de mon touriste fou ? Il n’est portant pas bien impressionnant, tout confiant qu’il est, avec cet objectif comme œil primordial devant sa caboche enfiévrée à l’adrénaline. 

 

Les « terreurs des bas quartiers » restent sans rien faire. Mon dessein s’éloigne. Nous passons.

 

 

 

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Nouveau cliché criminel (ou quand un jeune touriste aux allures bancales se joue des julots).

 

Autour de nous, des petons claquent au sol. Quelques talons rythment une bouche qui dit ses prix. Deux yeux bleus percent le crépuscule et l’œil dévalé d’un maquereau suit la scène.

 

La nuit tombe sur Bucarest.

 

à suivre...

 

17 avril 2019

Suite Roumaine, Chapitre I.

Suite roumaine.

 

Au cours des prochains mois, la Roumanie est à l’honneur sur Gare aux gares. Notre contributeur fait renaître un pays qu’il a visité aux cours de deux voyages. Une série d’articles sera publiée avec des photos (prises par deux de ses compagnons de route) et des dessins qu’il a réalisés.  

 

 

Sortie de gara de nord Gara de Nord, Bucarest.

 

 

I. Un retour de Roumanie.

 

La Roumanie était loin. Je n’y pensais que très peu. J’étais ailleurs. J’avais enfoui mes notes sous un building de travaux. Les pages noircies s’entassent, mes spirales torpillent le vide et je comble mes étagères. Le temps passe.

 

Le son de voix phoquesque d’un loufoque fendit la routine. Il était mignon, cet être brun au dos poilu, gouaillant comme une muse burlesque. Sa lyre de dents exhibées crissait dans l’aigu. Je devais y revenir. Du moins en songe. Eponge des coulées lentes du blog je devais replonger.

 

J’ai pris mes notes pour éclaircir un lointain frisson. J’ai un gargouillis qui brille et chuchote en continu, comme un ronronnement. Il est planté là, dans ma gorge. C’est l’écho des sensations, le reflet des choses vues… le chant de la vie. Je n’y peux rien. Le faire taire serait vain. Je l’exploite, je m’y concentre, je tends l’oreille dans son brouhaha, je lui offre mon corps au rythme de pulsations irrégulières. J’en tire quelque chose de profond. Vers l’Est. Un Est rêvé, un pays de mirages grisés par son ciel qui bleuira comme un charme, profond d’azur compact sur des montagnes vertes.

 

J’ai la cadence qui tangue, je subis et m’esthétise le rythme du monde. Des sapins jaunis s’enflamment au soleil. Je le sens le rythme, il s’allonge, s’étire crevant à petit feu vers la gauche, sursaute, fuse en l’air, vif s’étend et retombe à droite, lentement, il sautille puis caquetant criaille et file... c’est comme les balancements d’un wagon.

 

On a voyagé la Roumanie avec des trains. On chevauchait les quais. Nos correspondances étaient comme des maillons. La nuit enveloppe un convoi. J’ai le souvenir d’un débarcadère gelé, d’un mini-market, comptoir fantaisiste, multicolore comme un bandit-manchot, avec sa tenancière accoudée, l’œil triste et le front noir, qui tend ma bouteille de bière en plastique. 3 Litres, 7 Lei. Le prix revient au cœur plus fort qu’une sensation. C’est ainsi, parait-il, dans notre ère.

 

Au sein du torrent matérialiste, je me fais violence. Plonger ne se fait pas sans effort. Toute écriture rudoie le corps et l’esprit. Je revois danser un homme débarqué sur son port au bout d’un train de nuit. Soudain, j’ai le cœur plein d’une sonorité tsigane.

 

Il faut écouter de la musique Lăutărească pour entendre la Roumanie. Le rythme d’un train ne suffit pas. Les gares s’enchaînent et crissent les essieux. Il y a aussi des cris, des pleurs de bambins et le bruit des taxis. Mais l’accordéon qui altère son vent musical sur une contrebasse filante, la voix de Gabi Luncă et les fluctuations violonistes, sont une corde raide qui se met à onduler. Ma mélopée langoureuse plonge en se tortillant vers le fond du pays. D’onctueuses cajoleries me soulagent au son éraillé des souffrances.

 

L’Est que l’on rêve est un pleur majestueux, il s’enfonce avec brio dans la mélancolie, se déplace et vacille de train en train. Un paysage d’industries noires s’efface, vient un canal couleur nuage, un pont rouillé, une rue délabrée, un enterrement, une église blanche, d’un blanc sur gris comme celui des glaciers alpestres. C’est un blanc de combat, virulent, agressif, son éclat flamboie contre des baraques de briques.

 

roumanie vue du train2Roumanie vue du train, feutre et aquarelle.

 

 

 

Puis c’est le tour d’un vert terne percé de ses chemins marron. Une charrette semble flotter sur un champ. Un garde baisse les barrières de son passage-à-niveau. Le paysage a ralenti son défilé. Il va presque, même, s’arrêter, le paysage. Il est lent… très lent. Deux camionnettes attendent après un virage, sur une route en travaux, entre des flaques. Puis trotte un cheval attelé. La charrette ne flottait pas seule, ses roues sortent de l’angle droit et stoppent derrière une voiture.

 

Au-dessus du charretier à chapeau valaque, des visages s’encastrent entre les foins. Ils fixent le convoi qui redémarre. Ils sont longs, fins, anguleux. Une femme tient son bambin dans les bras. L’enfant est encerclé d’un tissu céleste sous le ciel gris, c’est un voile bleu. Plus haut, un homme fume l’air froid par volutes entières. Le charretier fixe le convoi qui déroule.

 

charretier roumain 3 Charretier roumain, feutre.

 

 

Le train, lui, n’attend pas. Mes pieds restent immobiles. Les corps bougent derrière ma vitre intime, ils cavalent vers un bruissement sensoriel. Je frissonne parce que je les revois. Les rails s’étendent pour s’étioler. J’ai l’image plus volage que les notes. Elles sont d’ailleurs là. Qu’en faire ?... elles sont tout au plus quelques fils à tirer comme à la pêche. En les remontant vers moi, je trouverai peut-être quelques perles accrochées au bout. J’ai déjà mon carnet à spirales, cet étang qui reflète un ciel de souvenirs, relique de là-bas, entre des billets de gare et la boîte d’allumettes offerte au comptoir d’un hôtel de Bucarest.

 

Puisqu’il est primordial d’y retourner, je vais rouvrir les pages voyageuses qui me résonnent au bide. La Roumanie revient ici. Elle débute après l’avion et le bus, avec des bruits de capitale qui remplissent un bureau de change, des vitres gardées par des colosses, du café, des fils téléphoniques en foule sur les carrefours klaxonnant. Un boulevard. Un tramway. Une putain qui vit son trottoir, la jupe rose et le teint brun, sa bouche sans fard trouée comme une sincère crevasse. Elle a une figure de statue taillée sur le jaune pastel d’un bâtiment, son corps flotte devant l’arrêt Gara de Nord.

 

Un feu piéton passe au vert. Une porte ouverte encercle ma tête. Le hall amplifie le bruit des pas perdus. Les voies sont comme des tapis déroulés sur le pays par des heurtoirs.

 

La Roumanie s’ouvre avec un train qui entre en gare. C’est un acte bruyant. Je l’entends. Un son de frein aigu monte dans les vapeurs d’une immense ville.

 

 

train en gare de BucarestTrain en gare de Bucarest, feutre.

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12 août 2015

Edimbourg.

Edimbourg. Waverley Station. Des voies. Des quais. Multi-destination. Nord. Sud. Angleterre. Newcastle. Londres. Glasgow. Inverness.

Sur le panneau : le voyage. L’aiguillage. Les chemins. Métaphore facile pour qui n’a pas de style. Pour qui a la merde aux yeux.

 

J’ai pas de style et j’aime ça. J’ai la merde aux yeux et ça me plait.

La merde c’est le vieux monde et ceux qui l’ignorent crèveront avec lui.

 

Sur le panneau : le voyage.

Le guide touristique.

La table des matières. Les villes rangées en cases, en pages, en colonnes.

Les monuments royaux. Les musées notés, critiqués, déchiffrés pour être servis en plats de résistance dans le grand repas touristique des consommateurs avides de cornemuses et de kilts.

J’ai la merde aux yeux.

Je me vautre dans la merde.

 

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Edimbourg. Scottish National Gallery. Musée. Peintures. Figures bibliques assommantes. Glauques. L’enfant roi que condamnent les cathos ne semble pas avoir besoin de tâter les tétons de sa mère pour en laper la sève.

Des paysages. Paysages d’Ecosse à la file. File d’attentes. Troupeaux de collines vertes.

Le mot d’ordre ? La lumière.

Waller Hugh Paton, Dunnottar Castle.

Un château sous l’arc en ciel.

Peter Graham, Wandering Shadows.

Des landes se chevauchent. L’herbe est reine.

Quelques  rayons de soleil percent à travers la myriade de nuages.

Je voudrais me jeter dans la prairie fluorescente. L’agent de sécurité veille. La peinture est vielle et inviolée. Rigide. Merde.

 

C’est le tableau de l’Ecosse. Le cliché. Pas de fumée sans feu.

C’est le tableau du monde. La lumière est au centre. On ne voit qu’elle.

 

Dans la gare : un panneau.

Sur ce panneau : des chiffres.

1, 8, 11, 5, 9, 7, 15… Platforms. Les box. Les stalles de départ des prolos endormis.

Sur le champ de course, ils s’exhiberont ventre à terre sans voir les parieurs. Et merde.

 

Edimbourg est verte. Edimbourg est grise.

Châteaux. Pavés. Châteaux. Pavés. Eglises. Bitume. Silence. Cornemuses. Artistes de rues arborant des kilts coutant plus cher que leur paie quotidienne. Mendiants. Touristes. Buveurs. Musiciens. Châteaux. Pavés. Eglises. Mendiants.

 

Les dernières lueurs du jour sourient à la nuit assassine.

 

Sur les hauteurs : la verdure.

Sur les hauteurs : un rayon de soleil.

Sur les hauteurs : un monument à la gloire de l’amiral Nelson.

Une colline éclairée pour rendre hommage à un chef de guerre.

C’est l’armée, la hiérarchie, le canon, l’autoritarisme.

C’est la guerre et l’auto-extermination des prolétaires.

On a vue sur les docks. Le port d’attache du Britannia. Le yacht de la reine. Le phare de la demi-mondaine mouille son cul dans la mer du nord et le peuple de Leith écume les pubs aux couleurs d’Hibernian. Les foies troués du quartier laissent passer l’ombre. 

 

En descendant du belvédère guerrier : un petit cimetière.

Ici, la lumière ne vient plus.

De l’herbe, de la pierre froide, des os.

Entre les tombes : des tentes, des amas de vêtements sales, des cartons sur lesquels dorment des clochards. Pour unique plumard, les réprouvés ont des sépultures de gens connus.

David Hume, philosophe.

David Allan, peintre.

John Playfair, scientifique.

Thomas Hamilton, architecte.

 

Des « grandes têtes de la nation ». Des hommes de valeur. Ils auraient, dit-on, mené l’Ecosse vers la lumière.

 

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Dans la gare : des trains. Le gagne-pain de l’ouvrier.

 

Avant mon départ, je participais à une manifestation nationale contre l’austérité à l’appel de mon syndicat. Un jeune journaliste couvrait l’évènement.

Dans la masse de quidams dont je faisais partie, il m’a choisi pour poser quelques questions.

Rien ne justifiait cela. Il piochait au hasard.

C’était un employé obéissant. Il faisait ce que lui demandait son patron. Il s’adressait à moi au rythme de stupides interrogations.

 

Il m’a demandé : « C’est l’été, j’imagine que vous allez bientôt partir… Penserez-vous encore à l’austérité quand vous serez loin ? »

 

Je me souviens lui avoir répondu à peu près ceci : « Lorsque l’on a pris conscience des méfaits du capitalisme, on les voit partout, même au-delà des frontières.»

 

Au fil des voyages, mon aversion pour leur monde dégénéré grandit en même temps qu’elle s’internationalise.

 

Dans une sombre taverne de Cowgate, ce journaliste aurait pu s’asseoir avec moi sur un tabouret. Nous avons le même âge. Nous appartenons à la même classe sociale. Le coude posé sur le comptoir, j’aurais pu lui répondre : « Ben oui mon gars, j’ai la merde aux yeux ».

 

Je marche sur les rues pavées. Je regarde le sol. Je vois les visages prendre leur place dans une masse hétéroclite. Je vois les trains qui défilent et se croisent. Je vois la ville tourner. Le jour s’échappe mais durera encore. En Ecosse, le soleil d’été ne s’absente que très peu.

 

Des larmes ne serviraient à rien.

 

Edimbourg : Crèche en cancer capitaliste.

Belle Edimbourg dans la merde.

 

Dans la gare : des poubelles. 

10 mars 2015

Inde et Futile : Un express pour Calcutta

Howrah Junction Station, la gare de Kolkata

T'aurais pu naître mahradja,

descendant de je ne sais quoi;

 

Dealer d'opium,

Vendeur de quartiers de pommes,

 

Touriste se moquant de Shiva,

pétant dans un drap de soie,

 

Chameau dévalant une dune,

voir diseur de bonne fortune.

 

Mais tu traînes là

Dans ce train pour la cité de la joie.

 

Comdamnée à mendier, à exhiber ton enfant,

pour une roupie, pour dix francs

 

A tendre le peu que tu as,

les jambes sans les bras.

26 janvier 2015

Le Train Jaune lutte toujours

Train jaune

 

C’est depuis 1910 que circule le Train Jaune. L’ouverture de la ligne se fit en diverses étapes, tronçon par tronçon, pour atteindre en 1927 le tracé qu’on lui connaît aujourd’hui de Villefranche - Vernet-les-Bains, la gare de commande, à Latour-de-Carol - Enveitg.

Oui, cela fait plus d'un siècle que le tortillard de Cerdagne fait œuvre de service public malgré les nombreuses attaques à son encontre.

Dès 1969, ses défenseurs se rejoignaient dans un comité pour contrer la volonté de certains d’en finir avec cette ligne.

 

Gare de Villefranche Vernet les bains

 

Mais c’était sans savoir que dès lors, ils seraient constamment solliciter dans un combat qui est plus que jamais d’actualité.

Il faut dire que les années 60 sont marquées par le début d’une forte concurrence avec le secteur automobile et le lancement des projets de trains à grande vitesse notamment avec « le Capitole » roulant jusqu’à 200 km/h.

Les petites lignes arrivaient dans le viseur de la grande entreprise ferroviaire française, désireuse d’aller vers des services plus mercantiles que public, prolongeant ainsi les politiques libérales menaient par les gouvernements successifs.

 

Gare de Olette

 

C’est ainsi qu’en 1974 la ligne du train jaune  dû subir sa première blessure avec la décision de la fermeture au trafic de marchandises.

Puis ce fut en 1981 le doublement du prix du billet par rapport au tarif normal qui rappela à tous ses défenseurs la détermination des responsables politiques d’en finir avec la ligne.

Leur combat permit malgré tout d’obtenir une carte de réduction à 50 % pour tous les résidents des hauts cantons de Cerdagne. 

En 1985, décision fut prise  de retirer les rails, par le biais d’une société privée, en gare de Fontpédrouse, mais ceux-ci restèrent en place grâce à l’opposition courageuse de quelques cheminots.

 

Gare de Fontpédrouse

 

 

Malgré tous ces épisodes et d’autres, le train jaune roule encore.

Il roule malgré la région Languedoc-Roussillon qui a généralisé le TER à 1 Euro sur toutes ces lignes sauf sur celle-ci où le trajet complet coûte plus de 20 euros.

Il roule malgré le conseil général des Pyrénées-Orientales qui a mis en place une concurrence « low-cost » en finançant les bus à 1 Euro sur le département.

 

Carte TER LR 1 euro

 

 

Il roule malgré le sous-investissement qui induit une réduction de la vitesse des trains et du nombre de circulations. Aujourd’hui il faut 3 heures pour parcourir les 63 km de ligne au lieu de 2h15 en 1980, et où seulement 10 trains par jour maximum son autorisés à circuler au lieu de 16 auparavant.

Il roule également malgré à un plan de transport inadapté et la déshumanisation des gares. Des maux que connaissent bien les usagers de la ligne des Cévennes qui, depuis le 1er Janvier 2015, ont dû assister à la fermeture de l’ensemble des guichets de la ligne.

Mais cette année plus que jamais il menace de s’arrêter, puisqu'au travers de la réforme ferroviaire, votée au mois d’août dernier, les politiques favorisent le démantèlement du réseau.

D’une part parce que l’entreprise se voit attribuée une dette de 37 Milliards d’euros, fruit des constructions des LGV et des intérêts d’emprunts bancaires, pour laquelle la SNCF a obligation de rechercher des moyens de stabilisation.

De l’autre parce qu’un amendement permet à l'entreprise historique de se débarrasser des lignes «  séparées physiquement du reste du réseau ferré national » en les sortant de la convention TER. Amendement  qui ne concerne finalement que les deux lignes  à voie métrique du réseau français celle de St-Gervais-le Fayet à Valllorcine et celle de Villefranche - Vernet-les-Bains à Latour-de-Carol - Enveitg.

De plus, tout cela fait écho à une proposition du cabinet SNCF Consulting de faire passer le train jaune dans le giron d’une Société d’Economie Mixte puis d'en limiter son parcours et en le transformant en train saisonnier. 

D’une manière générale cette réforme presse le système ferroviaire français de trouver des solutions économiques à court terme, avec la productivité comme seul mot d’ordre.

Il faut casser du chemin de fer, comme des cheminots. Et à ce petit jeu, faute de moyens, les petites lignes ne résisteront pas bien longtemps.

D’ailleurs les décisions prises ces dernières années démontre une anticipation de la réforme comme en témoigne en Languedoc-Roussillon la fermeture de la ligne Ales / Bessèges.

 

Le passe partout de la ligne de Cerdagne

 

Mais le fric serait-il le seul refrain audible dans la Bataille du Rail ? Pas sûr.

Car de l’argent il y en a comme nous le montre le contournement Nîmes/ Montpellier  et ses 2,28 milliards d’Euros pour 80kms de voies ou la modernisation à 165 millions d’Euros de la RN 116 logeant le Train Jaune.

Et pour ce qui concerne le coût d’exploitation annuel de ce dernier, il est de l’ordre de 4,8 millions d’Euros, tandis que la remise à neuf de la ligne est elle estimée à 64 millions d’Euros. Rien de bien exorbitant.

 

Mais en s’attaquant au train de Cerdagne les décideurs s’en prennent à ce qui est souvent ici, l’hiver, le seul moyen de transport à pouvoir fonctionner, représentant pour ses usagers un symbole fort de leur indentité.Un patrimoine aussi bien touristique que culturel.

En poussant les voyageurs sur la route c'est un chef d'oeuvre du service public qui est, peu à peu, abandonné.

Faut-il y voir l'esquisse d'un projet de société ?

Celui du tout TGV et du lobby routier. De la grande vitesse et du diesel.

Celui des services privés et d’un Etat absent, désengagé de tout. Peut-être.

Pour autant, le Train Jaune roule toujours.

DEFENDONS-LE!!!

 

 

Gare de Mont Louis la Cabanasse

Gare de Bolquère

17 janvier 2015

Inde et Futile : Jaisalmer, Le théâtre doré

Jaisalmer la gare tôt le matin

Trois coups ont frappé.

Les trois derniers coups d’une longue série de sifflets. Répétitive composition de la machine du Jaisalmer Express.

 

Vous séchez la vase sur votre visage en posant un pied sur le quai. Le désert du Thar vient de souffler son air chaud rempli de poussières.

 

Vous vous étiez vautrés dans quelques bas-fonds de la planète. Jaisalmer l’imparfaite vous offre désormais sa gare en lever de rideau : pierres aux couleurs du pays, mouvements des vies –miséreux, commerçants…-, rickshaws, rabatteurs à la solde d’hôtels… Le décor est planté.

 

Pour une première scène, la porte du petit poste d’aiguillage s’ouvre en grand. Elle entame une réplique narquoise au ton monocorde, vous rappelle Saxby, susurre le quotidien à votre oreille.

 

Introduction inattendue. Mais attendez.

 

Voilà ! Vous vous noyez dans un balai de pierres aux couleurs d’or. Le soleil écrase chacun de vos pas. Jaisalmer s’exhibe en cité forte. C’est une danse de lumières au rythme des tambours, des pétards claquant leur indouisme à la face de la lune, des appels à la prière d’imams lointains battant la mesure d’une litanie orientale quand l’astre solaire se penche sur l’ouest. Nus, les dieux tapent sur leur ventre en rotant pour jouir encore dans leur orgie multimillénaire.

 

Les pierres des carrières environnantes scintillent sous votre nez pour y fourrer leurs odeurs de masala, de vaches, de tabac à chiquer, de pots d’échappements, de bheng lassi… Vous êtes en contemplation devant la scène des siècles. Les planches craquent sous les routes enlacées de l’opium et de la soie. Si la chaleur noie votre esprit, vous voyez cependant les caravanes de chameaux à l’assaut du désert et du temps.

 

Puis ce théâtre s’amuse avec votre esprit tourmenté. Il devient moqueur et absurde. La magie des répliques harmonieuses y côtoient les affres de l’existence. Il n’est de perfection apparente que dans le jardin d’un Lord Anglais. Ici, vous êtes en Inde. Des plats épicés brûlent votre œsophage après avoir caressé vos papilles. La symphonie du mendiant devient un art majeur qui s’octroie la beauté pour la mettre sur le trottoir.

 

Pour le dernier acte, Tilon-ki-Pol entre en scène. C’est un pont sur un chemin de pierres aux abords de la ville. Son histoire : Tilon, cocotte de luxe, a un jour trouvé les moyens d’idolâtrer Vishnu au fond de ses draps de soie. D’où cet ouvrage aux mœurs légères et lourd de sens. Deux solides piliers se joignent comme deux jambes écartées. Sur une clef de voute léchée par le temps, un avatar de la déesse vous fait les yeux doux.

 

Après être passé dessous, vous arrivez devant Gadi Sagar, un réservoir d’eau en plein désert. Une peinture de Jaisalmer… Un petit tapis bleu entouré de temples, donnant le bain à quelques pavillons suspendus.

 

Lorsque quelques nuages se hasardent à passer sur cette ville invraisemblable, chacun est libre de voir en eux la forme qu’il souhaite.

 

C’est sur cette fin ouverte que se ferme le rideau.

 

Suivant le rythme du wagon qui vous amène à nouveau vers la vie et ses ombres, le soleil se couche dans un incendie de sable et d’or.

 

Lorsque vous quittez cette pauvre prose érigée là en guise de gradins de fortune, vous pouvez garder cette image de Jaisalmer : Un théâtre doré.

 

 

Gadi Sagar

Gadi Sagar

 

 

 

22 décembre 2014

Inde et Futile : Les crachats du Jaisalmer Express

 

 

 

Old Delhi (Inde)

 

Crache. Crache.

Crache ! Crache ! Crache !

 

Tu craches parce que tu t’es vautré dans une marre de grumeaux pour nager avec les rats.

 

Tu viens de marcher pendant deux jours sur des trottoirs qui pissaient par terre. Les semelles de tes chaussures de petit blanc bien propre sont venues se dépayser ? Et bien qu’elles se trouent dans la merde !

 

Cette merde qui boit les épices, le pas des vaches, les détritus et les clochards.

Des clochards… Des hommes dans leur simplicité la plus crue. Qui n’ont même pas un carton où dormir. Des crèves la faim oubliés. Des tapis sur le béton cabossé, posant leurs corps squelettiques entre les carcasses des chiens errants. Certains n’ont pas dix ans !

 

Ce type qui rampait à terre et que les rickshaws évitaient en gueulant est surement déjà mort. Qui pour le ramasser ?

Penses-y encore, ça te fera du bien !

 

Tu voulais prendre le train pour quitter Delhi. L’avenue de la gare s’est jetée sur toi.

Tu l’as prise comme un poing sur ta gueule.

On y vend tout.

On y crie. On y rit.

On y crève dans sa pisse entouré d’un bal de mouches.

On y nourrit les bœufs et les bordels délabrés aux accents des putains orientales y sont l’allégorie du monde.

 

Et toi !

Toi aussi tu n’es qu’une pute !

Une pute prenant part à la putréfaction généralisée qui tourne comme un ballon de football au pays du cricket.

 

Allez !

Tu dois être content de dégager.

Dans une mer démontée par des vagues de vase, tu n’avais qu’un seul phare : Old Delhi Station.

Grande masse qui dore sa pilule au soleil.

Statue de l’orient assise en tailleur dans une flaque de boue.

Et grande. Et belle. Et majestueuse avec ça. Ses briques rouges qui saignent la chaleur. Ses arches blanches qui éclairent sa façade… Une immense greluche à l’air narquois.

Elle t’a toisé la salope !

 

Mais elle a beau faire la maline, elle est à Delhi. Elle suinte Delhi.

Son ventre gargouille, mendie, dort sur les quais, charge les trains à la gorge, pisse sur les rails, traverse les voies au nez des convois, vend à la criée toutes sortes de pâtisseries, de fruits, de boissons, de chaînes pour attacher les valises.

Dans son tumulte insensé, la vie vient encore une fois de frapper sur ton crâne en te poussant dans ta couchette.

 

Regardes-toi !

A la fenêtre de cette voiture de Sleeper Class par laquelle tu quittes tout ça.

Tu lorgnes sur les bidons villes.

 

Il n’y a pas de vitre aux fenêtres de ton train. Tu as l’air d’un con derrière tes maigres barreaux.

 

Tu sens encore les odeurs de la ville. Elles te suivront où que tu ailles. Désormais, tu en as partout. Tu t’es jeté dedans. Tu en as bu. Tu t’es lavé avec. Et le pire, c’est que parfois tu adoreras.

 

Oui ! Tu adoreras. Tu n’y crois pas. C’est normal.

Pour l’instant tu craches.

Tu craches tes premières gorgées d’Inde par une fenêtre du Jaisalmer Express.

 

Voyageurs attendants leur train en gare d'Old Delhi

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