Nozières-Brignon, dernier arrêt (I)
I - Lundi 03 Octobre 2011, jour de fermeture
30 29, 30 29, 30 29, 30 29, 29 30, 29 30, 20 39, 32 90, rien à y faire.
Depuis quinze minutes j’essayais de faire le code d’entrée de la gare. Quinze putains de minutes pour réaliser qu’ils avaient changé le code. Quinze comme le nombre d’années depuis lesquelles je bossais dans cette gare, Nozières. Quinze ans à faire tous les jours ce même code, cette même routine, ce même café. A voir les mêmes voyageurs.
Il y a quinze ans j’en avais vingt-cinq, les dents blanches, le visage bien rasé et le ventre plat. Je crois avoir depuis perdu tout cela. Mais j’étais fier comme au premier jour.
Fier d’avoir du boulot, d’être chef de gare et d’hériter de l’histoire de cette ligne de ce lieu.
Et quoi, il fallait aussi que je perde ma fierté ? Parce que quelques gugusses avaient décidés que faire péter mon poste et automatiser la signalisation permettraient soi-disant de faire des économies, il fallait tout fermer, tout oublier et changer le code ? C’était l’urgence de tirait un trait sur tout cela ? Pas pour moi, et j’étais bien décidé à ce que l’histoire de cette gare ne tombe pas dans l’oubli.
Je n’avais ni le besoin de prendre le service, ni de venir ici. Mais je voulais, une dernière fois renseigner les usagers réguliers, leur expliquer pourquoi les trains ne circuleraient plus sur la ligne pendant plusieurs mois et pourquoi la salle d’attente serait à tout jamais fermée. Après quinze ans de service je voulais aussi leur parler des anecdotes de la gare. Mais c’était peine perdue, alors j’allais leur écrire.
Ecrire sur la gare de Nozières-Brignon située sur l’une des plus vieilles lignes de chemin de fer de France, celle de Beaucaire à La Grand Combe.
Peu de personnes s’en souviennent mais Nozières fut aussi le point de départ pour l’éphémère ligne qui rejoignit Uzès en passant par Moussac, St-Chaptes, Bourdic et Arpaillargues.
Pour ma part il me fallut à peine quelques jours après ma première prise de service pour trouver les derniers bouts de rails cachés sous les ronces derrière le collège de La Réglisserie.
Autre bifurcation sur la ligne, celle du Mas des Gardies qui rejoignait Les-Mazes/Le Cres à côté de Montpellier et St-Jean-du-Gard via Lézan.
Vers la fin de l’exploitation de cette ligne, le poste d’aiguillage du Mas de Gardies a été mis hors service et remplacé par un jeu de clés dont nous avions ici depuis plusieurs années la responsabilité. D’ailleurs la fermeture de la ligne pour travaux ces prochains mois n’a pour seul but l’automatisation mais aussi la dépose de l’aiguille de cette bifurcation ainsi que la destruction du vieux poste.
Fin d’une époque dont nous avions vu les prémices il y a bien longtemps et notamment lors de ce triste mois de septembre 2002 et ses inondations dévastatrices.
L'ancien poste de bifurcation du Mas des Gardies
Prochain épisode : Gare au Gardon